Les familles Pellacoeur et Vermeulen ou l’histoire de la rue Marie-et-Louise

Une des conditions de la réussite de l’action des « Justes parmi les Nations » fut la discrétion. Celle-ci fut telle que des témoignages dont le récit se situe pourtant dans une même rue ne se croisent pas forcément. C’est le cas des histoires d’Alice et Henri Pellacoeur, d’une part, de Baptistine et André Vermeulen, de l’autre. Ces quatre Parisiens habitaient tous la rue Marie-et-Louise dans le 10e arrondissement, les uns au numéro 2, les autres au 12.
Les époux Pellacoeur sont concierges au 2. En 1940, leur fils René est ami avec Marius Jeremiasz, 13 ans, dont les parents, Marie et Joseph, originaires de Pologne, habitent eux 3 rue Corbeau, aujourd’hui rue Louvel-Tessier. En 1942, Joseph est interné en zone libre en tant que Juif étranger et Bernard, le frère aîné de Marius, est à Lyon où il s’engage bientôt dans la Résistance.
A l’été 1942, Henri Pellacoeur apprend l’organisation prochaine d’une grande rafle de Juifs. Il propose alors à Marius de dormir chez eux la nuit du 15 au 16 juillet. Il fait ensuite franchir la ligne de démarcation à Marius et à sa mère, chacun leur tour. Grâce aux contacts fournis par le Bund auquel il appartient, Marius parvient à rejoindre son frère.
Cette même nuit du 15 au 16 juillet 1942, au numéro 12, deux autres habitants de la rue ouvrent aussi leur maison à des Juifs en danger. Au 1er étage habitent, Salomon et Elise Abramovitch et leur fille Nicole-Charlotte 4 ans, le frère de Salomon, Maurice Abramovitch, sa femme Raymonde et leur fille Mireille Henriette, 5 ans. Les deux familles sont amies avec leurs voisins de palier, André et Baptistine Vermeulen et leurs trois garçons.
Dès le début des persécutions raciales, une solidarité se fait jour dans l’immeuble. La concierge Mme Lapatie modifie la liste des locataires pour éviter les « consonances juives » et les portes du 1er restent toujours entre-ouvertes en cas de menace. Le 15 juillet, prévenus de la prochaine rafle par M. Thomas, policier qui habite la rue, les Vermeulen alertent leurs voisins à qui ils proposent de se cacher chez eux. A partir de ce moment, les six membres de la famille Abramovitch peuvent sans cesse compter sur la solidarité de leurs voisins et des autres habitants de la rue pour se cacher comme pour se nourrir. Ils survivent tous à la guerre.

Alice et Henri Pellacoeur ont été reconnus « Justes parmi les Nations » en 2010, Baptistine et André Vermeulen en 2015. Les témoignages rédigés en leur faveur auprès de Yad Vashem ne font pourtant pas mention de leurs actions respectives. Même dans une rue, fut-elle très largement solidaire, la discrétion était de mise.